La truite.
AE de Ribiers 4 Juin 2016.Odile
LA TRUITE
Celui qui maudit l’obstacle se prive de sauter plus haut se disait une truite au bas d’une cascade.
Elle était jeune et fuselée, pleine d’allant, et jouait à remonte-gorges, à saute-écume, à tire-tourbillon et à fond les marmites. Une truite arc-en-ciel, résultante du soleil et de l’eau, qui filait comme un trait d’un rocher à l’autre, gobant en plein vol l’éphémère d’une détente qui pulvérisait le miroir de surface.
Ah, que ne suis-je un poisson-volant se dit-elle, considérant de plus près la hauteur de la cascade.
Elle aperçut alors tout là-haut, fouettant son fil serpentin, un pêcheur à la mouche pas plus gros qu’un moucheron.
(Chez les truites les pêcheurs à la mouche jouissent d’une certaine estime car ils se font un point d’honneur à relâcher leurs proies, pour eux « c’est un sport avant tout », et ils considèrent les truites comme de valeureuses partenaires, lesquelles valeureuses partenaires, ne tenant pas à froisser l’homme qui les tient dans son épuisette, l’assure de leur sentiment réciproque par un sourire douloureux avant qu’il ne décroche l’hameçon et ne les laisse filer).
Notre truite donc, dont la rapidité d’esprit égalait celle de ses coups de queue, entrevit aussitôt l’ascenseur.
Elle fit, sans scrupule aucun, quelques jolis sauts de carpe qui attirèrent l’attention du pêcheur.
D’une main experte il lança aussitôt son leurre et la truite saisit la fine mouche.
D’un coup de poignet et quelques tours de moulinet il remonta la truite tout en haut de la cascade, la souleva dans son épuisette, la saisit, décrocha l’hameçon d’une main attentionnée puis la jeta négligemment dans un seau où barbotaient déjà quelques consœurs. De nos jours on ne peut plus se fier à personne.
Le soir venu le pêcheur installa son bivouac au pied de la falaise, alluma un bon feu et sortit une grille où il déposa ses prises.
Braise sous la cendre
Sur le mur
L’ombre de l’invité(e)
Francis