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picpech
28 novembre 2011

Impromptu TÛT TÛT du wagon 1234

Sur une idée de Martine Meissimilly

Un, deux, trois, quatre, et d'autres encore, montent le marchepied, bousculent tout le monde dans le couloir.
Place, place... étuis de guitares, accordéon, caisses de batterie, instruments sous des housses. Le train repart, le mécontentement des voyageurs est visible.
Encore des hippies qui se croient à Woodstock peut-on lire dans les yeux des vieux croûtons jaloux de leur jeunesse. Le voyage se poursuit. De temps en temps un regard excédé par les rires de ces jeunes trop enthousiastes pour certains.
La somnolence s'installe, le brouhaha ronronne.

Quand soudain ! CCCCCCRRRRRRRRRRRRRRrrrrrrrrrrrrrrr..................!!!
Le train glisse sur les rails, tout le monde est projeté sur son voisin dans un grand concert de cris étouffés, de “excusez-moi, gnnn...“, de souffles coupés “.....“, puis l'arrêt avec le dernier crissement, le rebond de l'arrêt, et...
le silence..........................,
l'immobilité..........................

Chacun se détortillonne de son voisin. Puis on se défroisse les vêtements, on regarde de droite à gauche.

Enfin vient la rumeur contenue d'abord, puis qui s'exprime de plus en plus haut :
“Mais pourquoi sommes-nous au milieu de nul part, sans savoir pourquoi ?“
“On est des otages !!“
“MOI, si j'étais au gouvernement, ça ne se passerait pas comme ça, je vous le dit, MOI !!“

… et ça braille dans l'air du wagon 1234, et ça remue des bras, pour rien, parce que personne ne comprend rien à pourquoi on en est là. La rumeur commence à baisser, les moutons de panurge qui s'étaient excités brusquement retournent à leur docile soumission, tout en développant leurs ulcères secrètement.

Mais, voilà qu'il se passe quelque chose !

En un clin d'œil partagé, les musiciens déballent leurs instruments, un se met à jongler dans l'allée centrale qu'ils avaient traversé dans l'opprobre générale, tous se mettent à jouer, tiens un trombone POUING POUING POUING, tiens un tuba, POUM POUM POUM... oh !! il y a même un triangle qui tintinnabule, TIN TIN TIN TIN, l'accordéoniste chauffe le wagon, ses doigts courent sur le clavier et les touches, le soufflet va et vient comme les pistons des michelines d'antan, la guitare gratte, ça démange l'envie de danser des dames qui sont restées des jeunes filles dans l'âme, et tous regardent, et tous écoutent cette fanfare improvisée, qui se joue à se faire plaisir, à calmer les rancœurs de ceux qui grognaient, sur l'air des lampions.

D'abord incrédule, la foule du wagon 1234 se met à taper des mains en rythme, 1/2/3/4, 1/2/3/4, certains osent accompagner la chanson qui se déploie à leurs oreilles.
D'autres indécrottables aux dandinements des corps et des esprits, qui ne saisissent pas l'air du temps qui passe et qui repasse le tempo, ignorent les musiciens, ne croisent surtout pas leurs regards, de peur de sortir l'obole qu'ils planquent au fond de leur cœur contrôlé, remembré, asséché, cœur palpitant à un seul temps, d'où aucunes larmes de joie ne pourra plus jaillir à contretemps, de peur de provoquer une syncope fatale, cœur insensible aux bémols et aux dièses, aux trémolos et aux fugues.

Ces regards fuient la rythmique de la vie, préférant un splendide isolement dans le tumulte général.

Quand le train est reparti comme il s'était arrêté, sans prévenir, la musique a continué sur le rythme des boogies-woogies, s'accélérant progressivement pour entrer en résonance sympathique avec l'instrument de percussions, ce cœur palpitant dans lequel ils étaient tous, musiciens, voyageurs et grincheux bien malgré eux.

Ils sont descendus à la gare suivante, en s'excusant de bousculer tout le monde avec leurs grosses caisses portées à bout de bras au dessus des têtes, avec la guitare qui se faufilait entre les corps, avec l'accordéon harnaché à la poitrine, avec l'harmonica suspendu aux lèvres.
Tout le monde les aidait.
Quand les portes se sont refermées, le silence a repris.
Les regards se fuyaient.
Dommage.

Gilles LLORET
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