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picpech
10 juillet 2012

Image Innée

Image Innée

À Maurice Genevoix.

 

 

Ce matin il fait beau. Très beau. Je sors. L'air est clair. Frais. Pur. Le soleil émerge à peine derrière la montagne. La lumière est quasi à l'horizontale et éclaire la végétation de l'intérieur.

Tout resplendit.

 

Je retourne à la cuisine. Toute la maison est affairée à engloutir les calories nécessaires pour la matinée. C'est réglé comme du papier à musique.

Mais ce matin j'ai envie de glisser une parenthèse dans ce tempo trop quotidien.

- “Viens”, dis-je à ma fille.

Je n'ajoute rien d'autre. Je lui souri. Elle lève les yeux, accepte la proposition en silence.

 

Je la prends sur les épaules, elle n'a pas de chaussures. Elle rigole de la tournure des choses, elle a maintenant l'âge où elle est trop lourde pour être sur les épaules de son papa-cheval.

Ou alors est-ce moi qui n'ai plus tout à fait l'âge de porter une enfant de cet âge.

 

Nous descendons les marches du jardin.

- “On va aller voir le soleil qui se lève”.

Elle rigole. Elle accepte, elle a encore l'âge de se laisser éblouir par un lever de soleil, surtout sur les épaules de son père.

Enfin, j'imagine. Ou j'aimerai imaginer. Ou j'imagine que j'aimerai.

Ou j'aimerai imaginer que mon père le fisse, m'emmener voir un lever de soleil sur ses épaules.

Parfois on fait des gestes pour s'imaginer qu'on aurait aimé.

Ou alors est-ce un désir d'imaginer une image innée d'êtres aimants ? D'être aimer ? D'aimer ?

Qu'est-ce donc qu'être père si ce n'est qu'imaginer des gestes d'amour et de les faire ?

 

Me voilà avec ma fille qui me pèse sur les épaules mais je l'ai voulu, j'ai le dos moulu, tant pis, je marche, elle pèse, elle rigole, on avance vers la lumière.

 

Devant nous le saule pleureur est une cascade verte et jaune, aux bras multiples et souples qui ondulent au moindre souffle. Il nous appelle de ses formes douces, fléchies vers le bas, jupes à demi soulevées, arbre-femelle, doux, flexible, souple, qui pousse dans tous les sens mais surtout en penchant ses attentions vers la terre. Ses couleurs sont tendres, les feuilles frémissent et présentent à chaque ondulation une alternance de faces qui transforment l'arbre en un kaléidoscope doucement animé.

 

Tout ce printemps, nous avions observé ma fille et moi l'apparition des signes le long de ses tresses dénudées : vêtues d'abord des bourgeons en écailles, attendant l'heure, puis de chatons, fleurs jaunes impudiques, sexes érigés, parsemés de minuscules pédoncules attendant la fécondation.

Puis, émergeant des bourgeons turgescents, vinrent les feuilles.

Jour après jour, elles gonflèrent et formèrent de minuscules jupes, d'abord courtes puis longues, d'abord dressées vers le ciel, montrant tout, puis se courbant, cachant progressivement l'érection florale qui s'éteignit finalement pour se dissoudre dans le sol.

Les feuilles avaient recouvert l'arbre de pudeur. Ses secrets entrelacements s'effaçaient aux regards.

Bientôt le cycle se figerait pour passer l'été ainsi, avant l'inexorable automne.

 

Nous étions donc à ce moment du printemps où la sève pousse encore la chair végétale aux excroissances extraordinaires, avant la suspension du mouvement.

Ma fille se laissait porter. Je sentais son poids. J'aurai aimé être à sa place.

 

L'arbre nous enchantait, nous ensorcelait, nous appelait.

Soudain, il se mit à chanter ! “Didluo, didluo !”`

 

Une cascade sonore émergea de son secret. Nul autre chant ne peut être plus tendre et plus attirant que celui d'un arbre-femelle agité de frémissement de jupes pudiques laissant entrevoir ce qui l'anime du fond ondulant de son corps qui chante.

Didluo, didluo !

 

L'oiseau d'or au chant mouillé qui s'était lové entre ses branches incarnait le fluide de l'arbre en mouvement.

 

Une lointaine légende raconte que le jardin touché par la grâce du Merle d'Or, de l'Oriol, du Loriot, de l'Aureoleus, portera ses fruits au centuple.

Oiseau d'Or, Loriot invisible, tellement audible quand tu décides de faire tes miracles sensibles !

Secret de couleurs vives, ors et noirs cachés dans les frondaisons, ton chant me donne des frissons.

Je t'ai tant cherché, recherché, désiré, espéré et là tu me touchais au cœur.

 

Nous nous sommes immobilisés devant l'arbre, elle sur mes épaules, moi volant debout, tous deux en suspension. Cela dura. Cela dura encore un instant. Encore un instant.

 

Nous vîmes l'Oiseau d'Or quitter sa branche, pour d'autres contrées, d'autres sortilèges enchantés.

Pourquoi n'es-tu pas resté ?

 

Mais, tu as raison, va, je comprend, d'autres doivent ton chant entendre.

Ils t'attendent.

 

La journée débutait. Ma fille riait.

J'aurais aimé que mon père me monta le loriot, je l'avais montré à ma fille.

Elle avait entendu son appel. S'en rappellera t-elle ?

Moi, oui.

 

 

Gilles LLORET

 

 

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