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12 mars 2013

Une âme et un corps

Atelier d'écriture d'Odile Pommier, Lagrand, le 2 Mars 2013

 

L'imaginaire du lecteur et de l'écrivant est stimulé par l'expression d'inconnus qui donnent à lire une partie de leur rêves.

Vus à travers notre moulinette onirique personnelle, nous empruntons alors un chemin inattendu auquel ni l'écrivant, ni le lecteur ne pouvaient imaginer qu'il puisse dérouler son tracé dans notre pays d'émotion, et, en écho, dans notre territoire de pages blanches.

 

Consigne du jour : “Vous avez devant vous un tas de “petites annonces“ de plusieurs catégories (Objet / Lieu / Location de maisons / travail / Moitié idéale / Sentiment...) Tirer trois petites annonces. L'exercice du jour consiste dans un premier temps à analyser le postulat initial qui a aboutit à la rédaction de l'annonce par son émetteur. Il s'agit dans ce temps là d'analyser les raisons de la production de l'annonce : imaginer les personnages, les situations, les circonstances qui ont abouties à la publication de l'annonce. Noter des verbes, puis démarrer, ¼ h par annonce.

Une fois le postulat révélé, donner son analyse et passer l'annonce à son voisin, qui lui y répondra.

 

Ce jour là, Patrice Renault était à côté de moi, nous nous échangeâmes nos postulats... Ce qui est plus agréable que de s'échanger nos pustules.

 

Divorcer – Rêver – Ecrire – Baiser – Renaître – Attendrir

 Albert, la soixantaine, chauve, 130kg en TERRAILLON, se déplaçant avec difficultés, passait plusieurs heures par jour dans son 4X4 équipé d'une lunette astronomique et d'une mini-bibliothèque aménagée en lieu et place des sièges arrières. Albert, qui désirait sortir de lui encore plus que de sa maison, s'était piqué d'écrire un livre ; un projet ridicule pour un homme de son âge, de sa condition (un ancien docker), et doté d'une imagination asthénique et souffreteuse.

Alors, il avait décidé de passer de multiples petites annonces, floues, anonymes, à l'eau de rose pour dénicher des personnages... Exemple :

« Vous connaitrez en esprit et en vérité...

et la vérité vous rendra livre ». H 60 a,

cherche Femme de même. « ...dans une âme et

un corps ». Réf. 225 – 19.

Patrice Renault

 

Il reçut une réponse qui enthousiasma sa boîte de vitesse de Pandore et sa banquette arrière :

 

Monsieur,

Votre annonce réf 225 – 19 a produit en moi un déclic. Cela fait soixante ans depuis hier que j'ai un corps sans âme. A la lecture de vos signaux de fumée codés derrière vos mots agencés, un processus de compte à rebours s'est mis en œuvre. Il était écrit que nous devions nous conjuguer les épithètes.

 

Les soixante premières années de ma vie ont été employées à maintenir ensemble des pages désordonnées dans une succession de cahiers dépareillés, sous une couverture accorte, certes, mais trompeuse. La vie ne m'a pas épargnée. Je vous dispenserai de mes renvois au bout de la ligne, mes ratures, mes gommages. Petit à petit, pour tenir debout et continuer malgré tout à tourner les pages, années après années, afin de donner une apparence de vie à mon personnage, je fut obligée d'être une menteuse, cachée sous une couche de fond de teint que j'appliquais consciencieusement chaque matin pour avoir l'air sain. Mais cet emplâtre quotidien ne saurait jouer à l'être.

 

Je n'étais qu'une façade, je cachais ma mine de papier mâché derrière ma couverture, pour faire bonne figure. Étais-je écrite à l'encre sympathique, n'ayant d'autres choix que d'espérer une chaleur humaine pour révéler mes caractères ? Je ne saurai vous le dire.

Ce que je sais, c'est que toute ma vie je me suis efforcée à être bonne pâte, hélas à peine feuilletée. Je me revois alors, pendant toutes ces heures étayée comme un échafaudage sous ma couche de mascara, allongée sur ma couche, espérant une lecture qui ne se contente pas que d'une façade... Quelle mascarade !

Tous m'ont pétrie et malaxée en surface, mais personne ne lisait ma quatrième de couverture.

Ceux qui se sont succédés allaient directement au premier chapitre, jouant au chat avec ma souris, faisant les pitres sous les draps, la couverture et la couette.

Certains n'ont même pas fini la première page, avant d'abimer d'une encre indélébile mon désir d'être lue et relue jusqu'à la table des matières de mes rêves.

Tous m'ont mis entre parenthèses après avoir pris leurs aises.

 

Soixante ans, juste être perçue comme un corps de texte que l'on lit distraitement avant de passer au suivant, cela finit par être lassant de ne pas dénicher mon intrigue.

Je suis une Femme, et dans mon corps je veux que l'on m'accorde une âme.

 

Alors, Monsieur, je vous propose de nous échanger nos livres de chevet pour entrouvrir nos bibliothèques, de nous prêter nos dictionnaires pour que nous nous traduisions nos langues.

Puis, si nos paragraphes jouent aux télégraphes sans sémaphores, alors peut-être pourrions-nous aimer ça fort, mélanger l'imaginaire de nos légendes.

Reconnaissez, Monsieur, que j'emploie le conditionnel d'esprit et la prière du temps de l'étude réfléchie, bien que tout en moi tend vers la traduction radicale au futur postérieur, au partage de nos terminaisons nerveuses. Prenons la tangente ici et maintenant de long en large de nos espaces vectoriels, tendant nos asymptotes vers le plaisir charnel fusionnel au delà de la marge.

 

Comme vous le dîtes si joliment dans cet épithète d'annonce de résolution de mes mots de tête :

et la vérité vous rendra livre...“,

 

… j'ai bien compris entre les lettres que vous avez couchées sur le papier qu'en vérité vous pensiez à des têtes-à-têtes, des mots-à-mots en forme de tête-à-queue où :

la virilité vous rendra lèvres...“

 

J'ai hâte de votre eau-de-prose dans mon corps pour que mon âme se révèle en vers par votre charme. J'ai hâte de connaître vos chapitres d'être, de vous lire à l'endroit ou à l'envers du décor.

J'enfile mes bas de pages et je file vers vous. Rendez-vous à la grande bibliothèque.

 

Je serai habillée d'une veste blanche à petits carreaux bleus.

Conjuguée à l'indicatif-présente, j'aurai comme signe distinctif dans la main droite un marque-page.

Mon âme en sera toute bouleversée, je pencherai telle l'Italique qui souhaite être enfin déchiffrée.

 

Je tremblerai de la tête aux pieds de la lettre,

Comme une feuille qui a peur que le vent n'ai raison d'elle

M'envoyant pour un dernier envol parmi les hirondelles

Après l'été de ma vie en route pour mon automne.

 

Il n'est jamais trop tard pour être Homme,

Il n'est jamais trop tard pour être Femme,

Il n'est jamais trop tard pour être âme,

Il n'est jamais trop tard pour être.

 

Passerons-nous ensemble au-dessus de la mer, au delà du silence du désert de l'oubli, cheminant de concert en chantant par la voix du désir des Tropiques ?

 

Bien à vous,

 

Aline Néa.

 

Gilles Lloret

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