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picpech
8 juin 2012

Les cercles de jeux de Mr Michaudu

Avec du retard, les aventures de Mr Michaudu

 

Deux questions existentielles tirées au hasard :

 

  • Je crois beaucoup dans la nouvelle lune. Mais n'est-ce pas la vieille ?

  • Mr Michaudu a t-il une double vie ?

 

Une série d'objets de criture sortis des poches des participants de l'atelier des critures (cf Igor) :

Bague en spirale, Dé, Jeu de tarot, Vis hélicoïdale d'un coquillage, Orange, Couteau, Chéquier, Clefs, Cassette de Philippe Léotard, Rouge à lèvres, Roll-on anti stress, (Agenda publicitaire), Plan de la ville, Chargeur de téléphone, (Mouchoirs), Crayon usé

 

Répondre à une ou aux deux questions, en s'appuyant dans le texte sur le potentiel littéraire des objets tirés des poches.

 

 

 

 

Les cercles de jeux de Mr Michaudu

 

Le temps est une spirale, les cycles semblent se distinguer les uns-les autres mais ils répètent les mêmes cycles cosmiques, tous différents, tous identiques. La danse des astres est un ballet fractal chorégraphié par l'entropie sidérale. C'est pourquoi je crois beaucoup à la nouvelle lune, c'est comme une nouvelle vie,... mais n'est-ce pas la vieille ? Quelle différence ?”

 

Me disant cela, Mr Michaudu sortait de ses poches les objets qui lui seraient remis après sa garde à vue, s'il s'en sortait. Se retrouvant épars dans la boîte élimée qui en avait tant vu, de ces secrets d'alcôve de fond de poche, il déposa un dé, des clefs, un jeu de tarot, un petit couteau, un coquillage minuscule, un crayon usé, un chéquier usagé, un plan de ville (mais de quelle ville s'agissait-il, au juste ?) un chargeur de batterie, une orange, une cassette musicale antique, une bague en argent spiralée, un tube d'onguent anti-stress, un baume couleur lèvres, puis il déposa la poussière de brins de tabac de fond de poche, me déclarant qu'il souhaitait pouvoir les récupérer, après, pour pouvoir fumer, car la prison, comme tous lieux publics, était désormais non-fumeur. Le pouvoir d'Etat ne voulait plus entendre la rumeur des tumeurs, se réservant les meilleurs soins, se réservant les droits à son endroit, les interdits de santé publique étaient édictés pour le petit peuple. Ceux qui allaient en prison, d'où qu'ils se trouvaient auparavant sur les barreaux sciés de l'échelle sociale se retrouvaient instantanément en un état de bas-peuple, franchissant à rebours les barreaux franchis jusqu'alors, et crac, et crac, et crac...

 

Mais comment avait-il eu du tabac ? Et comment ferait-il pour fumer, sans papier ? C'est vrai qu'en le regardant bien, il pouvait apparaître comme clandestin à notre monde.

 

J'observai attentivement tout ce qu'il avait déposé en vrac dans la boite du tout-à-trac, dans cette boîte qui en avait tant vu, de ces intimités exposées à mon regard, de ces possessions d'hommes qui souvent craquent en cet endroit, à ce moment quand tout leur échappe, dans cette salle de dépôt, cette salle d'abandon pour les uns, cette salle de captures après les traques pour ceux qui comme moi vivent dans cet air rance et âcre.

 

Mais Michaudu semblait ailleurs.

D'ailleurs, était-ce vraiment un dépôt d'objets en vrac ?

Non. Il y avait un ordre dans tout cela, dans ce bric-à-brac. Un ordre supérieur.

Un ordre hors du temps de cette antichambre de la prison, au-delà de toutes les échelles, au-delà des barreaux, au-delà des cellules, un ordre qui se moque de la cellulose bien ordonnée des papiers.

Au centre trônait l'orange.

Sur l'orange était déposée la bague spiralée, comme un trophée.

 

Dans une périphérie de premier cercle orbital, volaient le dé et le minuscule coquillage élimé d'un côté, laissant apparaître la cloison hélicoïdale intime, sorte de colonne de minuscule Hercule tenue secrète par la volonté des gastéropodes. Le jeu de tarot paraissait passer par-là comme un vaisseau spatial qui emporterait dans son vol le super ordinateur KARL détenant toutes vérités dans ses mémoires aléatoires. Le tarot médiéval ne prétendait-il pas jouer au même jeu que KARL, proposant des réponses de son temps, tant et tant de possibles aléatoires ? Le crayon usé l'accompagnait dans sa trajectoire orbitale du premier cercle, tel une navette pour témoigner, revenir dans la réalité même si on s'en éloignait.

 

Dans le deuxième cercle se trouvaient en apesanteur le rouge à lèvres et l'onguent anti-stress, se donnant la main.

 

Levant les yeux sur lui, surpris, je remarquai que Mr Michaudu avait les paupières fardées, voile de ciel bleuté au-dessus des yeux qu'au premier regard j'avais interprété comme une marque de fatigue, des cernes d'œil bleui par l'insomnie. Quelle était l'activité réelle de cet homme, quelle était sa vie ?

 

Dans le troisième cercle, le plus large, étaient suspendus les objets utilitaires urbains, satellites artificiels du ciel des temps modernes en révolution permanente : le chéquier où il ne restait plus qu'une seule formule d'incantation de l'argent par les chamanes post-antan que nous sommes devenus, croyants pratiquants du culte de cette Epiphanie là, pouvoir divin de la transsubstantiation par la signature changeant le papier en billets de vingt, unités monétaires sonnantes et trébuchantes dans l'espace virtuel de nos consciences.

Il y avait aussi un plan de ville dont les plis se déchiraient, transformant les avenues, les boulevards, les rues, toutes les voies carrossables en impasses de sables mouvants, métamorphosant en coupe-gorges les chemins d'où avaient disparus les rouge-gorges depuis longtemps ; puis planait dans l'espace des télécommunications sans fils à la patte, un chargeur de batterie sans téléphone portable pour appeler au secours une bonne âme afin de rompre la glace de la solitude ; il y avait également une cassette musicale d'un chanteur maudit gesticulant en tous sens sur lui même, frère contestataire de ministre séminariste triste et vérolé, chanteur ès-vérités au destin fraternel sacrifié à expier et à éructer dans des vapeurs d'alcool des mots disants ce que certains complices de cette farce n'aiment pas entendre en pleine face.

Animé du mouvement perpétuel à la recherche d'un trou noir dans lequel délivrer un esprit de libération de loquet, derrière une porte tournoyante telle une table nous protégeant des roquets, il y avait enfin le trousseau de clefs cliquetant sans lequel toute personne ou cadavre est à priori suspecte. C'est un enseignement de la criminologie des temps modernes : pas de clefs, pas de signes extérieurs de propriété cadenassée, marginalité ou signes de criminalité ayant fait disparaître l'objet précieux, sésame convoité ouvrants les portes des paradis privés.

 

Malgré la présence de ces clefs disculpantes, j'avais l'impression que Mr Michaudu me donnait le change. Malgré l'étrange manège dans la boîte élimée, surtout ne pas apparaître étrange, voire étranger, j'avais l'intuition soudaine qu'il avait découvertes les clefs lors d'un forfait, soustraites et empochées pour distraire l'acuité policière des limiers. De même, le chéquier n'était pas à son nom. D'ailleurs, Mr Michaudu, était-ce son nom ? Pouvait-on porter un nom pareil ?

Tout le rendait suspect aux yeux de la morale de la salle aux pas perdus qu'est l'antichambre de la geôle après le mandat de dépôt.

Et lui regardait le plafond maintenant, évitant que nos regards se croisent, cachant son secret dans un mutisme à double tour dans son sac. Il ne demanderait pas d'avocat, j'en mettrais ma main à couper, pensais-je... Je me repris vivement, ayant soudain la désagréable impression qu'il ne fallait pas que j'ai une telle idée, qu'elle aurait pu se transmettre à un esprit malin qui l'aurait exaucée...

Comment lui faire comprendre que cela n'était pas mon affaire de le suspecter, de l'interroger, de le soumettre, de l'inquisitionner, de le faire avouer, j'étais là juste pour recevoir les interpellés et procéder aux premières formalités. J'en avais vu d'autres, beaucoup d'autre, et je me découvrais une certaine amitié pour eux qui défilaient ici, j'étais un regard sans suspicion pour eux, mais pouvait-ils le deviner ? Celui-ci m'intriguait. Il me changeait du train train du défilé des mis en examen en comparution immédiate, ceux qui arrivaient là pour quasiment rien pouvant renverser l'ordre du monde bien réglé, un vol de datte à l'étalage ou bien un détournement de bœufs sur Cuba car tout le monde sait que qui vole une datte provoque l'envol de deux bœufs libérés du joug de l'esclavage.

 

Suspendu dans l'espace confiné de la boîte élimée tournait toujours sur leurs orbites l'étrange ballet des objets, rangés en trois groupes distincts disposés alternativement tout autour de l'axe de l'orange et dessus celle-ci la bague spiralée trônant comme un ange m'annonçant je ne sais quoi.

La bague en spirale régnait sur ce petit monde et ordonnait la marche de ce manège enchanté dont j'étais silencieusement content de faire connaissance. J'aurais volontiers été amené à prononcer le mot ”enchanté”, moi aussi, si Mr Michaudu me l'avait demandé.

Mais ma fonction était de me taire et de mettre dans la boîte élimée ce qu'il y avait dans les poches des prévenus. Le remue-ménage bien réglé poursuivait sans discontinuer, dans la boîte élimée qui, je le voyait bien à présent, depuis le temps que nous nous fréquentions, je connaissais sa façon d'être, elle aussi s'interrogeait, ouvrait grand ses yeux, ne les croyant pas.

 

Le dé tournait alternativement sur l'une ou l'autre de ses six faces, donnant vie au hasard et à la nécessité. À coté, s'enroulant constamment sur lui-même, le coquillage MINUSCULE écrit en majuscule semblait être une vis sans fin faisant communiquer passé, présent et avenir.

Le jeu de tarot tirait ses cartes à tire-larigot, comme on tire des marrons du feu, il semblait s'enrichir l'âme et beaucoup s'amuser, sur un bout de papier qu'il m'avait demandé et que je lui avait donné stupéfait, le petit crayon usé notait pour le dé les combinaisons de tirage, les crues et les étiages, eau et gaz à tous les étages, en fait c'est la veuve de Pasteur qui a découvert la rage, aux dames on ne demande pas leur âge, il était en verve d'inspiration ce petit crayon.

L'onguent et le rouge à lèvres papotaient de tout, et surtout de rien d'important, s'en arrêter de jacasser comme des pies car s'arrêter de parler, c'est pourrir un peu, (“Je ne vais plus chez Tati – T'as vu le prix de leurs patates ?”) et patati et patata, parfois se disputaient et se chamaillaient comme des chiffonniers (“Le tissu n'était pas cher à Tati, dommage qu'ils aient fermés – Non mais t'as vu leur tissu vichy, je ne collabore pas avec ces gars là !”), mais se rabibochaient à chaque fois qu'il le fallait, quand c'était le moment de parler de leurs enfants, de leur accouchements, des saints sacrements, et cela à chaque cycle de tour de l'orange, puis recommençant à l'infini comme depuis la nuit des temps.

 

Les participants au premier cercle, chauffés à la chaleur de l'astre orange tournaient comme le lait sur le feu, très vite. Ceux du second cercle allaient comme un train de sénateur cherchant les toilettes après une séance parlementaire interminable ; pour soulager leur prostate, ils sautaient à cloche-pied à petites foulées de sénateur. Enfin, ceux du troisième cercle trainaient la patte, plus par contingence matérielle que par philosophie existentielle. On sentait bien qu'ils se sentaient obligé d'être, alors qu'ils pourraient ne pas être, contrairement aux autres du premier et du second cercles, sans oublier les troubles-fêtes des comètes allant et venant pour éviter que tout ne tourne en rond au milieu de cette magie de tour de manège hallucinatoire.

 

Mais qui était Mr Michaudu ? Le temps ne tournait plus rond, la nouvelle lune n'avait pas d'âge, nous étions en voyage dans ce purgatoire, avant le grand tribunal.

 

Moi aussi je me demandais depuis longtemps ce que je faisais là, maintenant, et aussi bien avant, depuis que durait tout ce cirque. Mr Michaudu aurait-il une double vie ? Moi aussi ?

Je vous le dis, juste à vous : oui, comme tout un chacun de nous-même.

 

Gilles LLORET

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